23 mai 2023

En mer, juste soi-même

À peine rentrée d’une longue phase d’entraînement au Portugal, Amélie Grassi revient ici sur ce moment initiatique où elle aura appris à apprivoiser autant qu’à dompter le Class40 La Boulangère Bio ; un exercice visiblement singulier et formateur pour celle qui se prépare à être au départ de la Route du Rhum 2022 ! 

Julien Champolion - polaRYSE

11 mars 2022 – Lorient, La Base. 14h UTC

Un soleil timide peine à percer entre les grains qui viennent cueillir le petit groupe sagement formé sur le ponton, pariant l’heure d’arrivée d’un coquelicot à l’horizon. Non pas que le printemps se fasse attendre, mais le Class40 La Boulangère Bio ne devrait plus tarder à présent à pointer le bout de son étrave dans la rade de Lorient, un mois tout juste après le départ de son port d’attache pour un entrainement dans les latitudes plus clémentes du Portugal. Puis voilà qu’un nouveau nuage déboule, plus vilain que les autres, amenant dans son sillage le Class40 La Boulangère Bio lancé pleine balle dans la rade, grand-voile haute, avec à son bord Amélie, seule à bord, qu’on imagine bien rincée après une nuit dantesque à braver le golfe de Gascogne pour arriver jusqu’en Bretagne. 
 
Le bateau une fois amarré, Amélie débarque avec un sourire assez large et contagieux pour faire oublier la pluie glaciale qui est en train de rincer le bateau comme le petit groupe venu l’accueillir. Puis rapidement, elle désigne le haut de son mât, perplexe, expliquant avoir perdu son antenne VHF AIS* pendant la nuit : « J’ai quand même fait le Golfe de Gascogne en étant complètement invisible… » Naviguer à vue et sillonner entre les cargos et les pêcheurs à bord d’un Class40 lâché à pleine vitesse où le risque d’une collision se pointe à chaque vague : ça n’a rien d’anodin, surtout quand ce sont des premiers milles en solo, et surtout dans des pointes à 40 nœuds (74 km/h de vent).

Quelques jours plus tard, on retrouve Amélie pour débriefer de ces premiers pas en solitaire. Car si elle avait fait ses gammes en solo à bord d’un Mini 6.50 dans le passé, rappelons que l’exercice n’est plus tout à fait le même en Class40, bateau deux fois plus grand et donc deux fois plus rapide qu’un Mini. Et pour aborder sereinement le solitaire, rien de mieux que d’être bien entourée. C’est donc aux côtés de son entraîneur, Tanguy Leglatin* qu’Amélie a retrouvé le large en solo : « D’abord Tanguy faisait quasiment tout avec moi, pour m’accompagner, m’aiguiller, me montrer. Ou en tout cas il était à côté et il se permettait de me parler, il m’observait beaucoup… Puis petit à petit il a arrêté de me parler. Et un jour, il n’était plus à bord. » Une prise en main progressive qui aura permis à Amélie de démystifier à son rythme le support en solo : « L’objectif pour lui, comme pour moi, c’était de me donner des repères de réglages, de me mettre un peu en confiance… C’est un peu comme quand tu apprends à un enfant à faire du vélo. Au début les parents tiennent le guidon, après plus que la selle et un jour ils mettent juste la main sur le porte-bagage, avant de ne plus rien tenir du tout… Et c’est là que tu te rends compte que ça marche bien tout seul ! »

Un apprentissage progressif qui s’est aussi nourri d’échanges et de confrontations puisqu’Amélie avait choisi de partager ces six semaines d’entraînement avec Axel Tréhin à bord du Class40 Project Rescue Ocean, partenaire de jeu idéal sur un bateau similaire à celui de La Boulangère Bio. « Le problème quand tu t’entraînes tout seul, c’est que tu es toujours le meilleur ! rappelle Amélie. Quand tu es seul, c’est très difficile de savoir quand est-ce que tu es à fond, et quand est-ce que tu l’es moins. A deux, tu peux le voir direct. C’est essentiel. »

C’est aussi à deux qu’ils ont « éprouvé » le solitaire sur leur bolide respectif, qui n’auront pas vraiment épargné les deux acolytes. « Pour la première fois, j’ai pris conscience qu’il y avait un peu de danger dans ce que je faisais, confie Amélie. Et ça, c’est nouveau pour moi. En Mini, je n’avais jamais considéré qu’il y avait du danger. La vitesse, la puissance d’un Class40, la violence des chocs…Tout ça est exacerbé par le solitaire » admet la navigatrice, avant de concéder « je n’ai pas envie de dire que c’est dangereux, mais tu ne peux pas dire que ça ne l’est pas. Ce n’est pas anodin, vraiment pas. »

Au fil des milles, chacun prend alors la mesure de son support et de l’engagement qu’exige chaque instant, chaque manœuvre. « Je suis partie à Cascais en me disant que ce bateau était galère, et en sachant que j’allais probablement trimer. Je pensais revenir en France en ayant passé ce cap et en trouvant ça « facile ». On en n’est pas tout à fait là non plus…, rebondit Amélie le sourire aux lèvres. Le bateau est dur et la session d’entraînement m’aura vraiment permis de démystifier ça, d’apprendre à conjuguer avec cette difficulté. Mais ça ne deviendra jamais facile de le manipuler. Vivre et manipuler ce type de bateau est violent. Tout est violent*. Physiquement. Nos organismes sont poussés à bout en permanence. Je crois que jamais ni moi ni personne ne pourra trouver ça « facile » ». Qu’en a pensé Axel, formé à la même école qu’Amélie et dont l’expérience en Class40 se résume aussi à une Transat Jacques Vabre courue en double ? « Il a galéré autant que moi ! répond Amélie, mais aussi parce-qu’il s’y attendait peut-être moins. » Heureusement, la plus grande force d’un marin est sans nul doute son amnésie : « Quand tu subis 24h à remonter au vent dans une mer super formée et que ça cogne sans arrêt, forcément tu te dis « Mais qu’est ce que je fais là ? » ; et au final, le bord suivant au portant, tu retrouves des sensations de glisse incroyables, tu te régales et tu as envie que ça continue ! »

Une leçon d’humilité qu’Amélie prolonge aussi en évoquant sa prochaine grosse échéance : le départ de la 1000 Milles des Sables, le 8 avril, première course en solitaire de la saison où elle pourra justement mettre en pratique les enseignements de son entrainement hivernal. « Cette année en Class40, on se retrouve avec des Lipinski, Macaire, Douguet*… Je ne pars pas pour une régate entre potes en fait ! En termes de confrontation, c’est juste impressionnant. Pour la première fois de ma vie, je vais régater moi-même et juste moi-même contre des gens qui font ça depuis 20 ans et qui le font très bien… » Un challenge qui ne sera pas dénué d’excitation : « J’ai hâte en fait, pour me situer là-dedans, j’ai hâte de voir ce que ça donne, et je pars sereine après un entraînement où j’ai tout donné. Le niveau de jeu que je vais tenir sera le mien. Je pars sereine et sans regret, j’ai beaucoup bossé pour ça. C’est ce qui compte. » La messe est dite.

* VHF AIS : Antenne permettant de repérer et d’être repéré en mer 

* Tanguy Leglatin connaît bien Amélie pour l’avoir suivie depuis ses premiers milles en en Mini

* Des filets à l’intérieur du bateau ont été installés pour garantir la sécurité d’Amélie 

*Concurents en Class40

 

Parcours entrainements
Le FIFAV et La Boulangère Bio, la belle aventure

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